Riches et pauvres, (Science)
23 MAI 2014 / ARCHÉO, SCIENCES HUMAINES ET DIVERS
RICHES ET PAUVRES, LA LEÇON D'ÉCONOMIE DE SCIENCE
Une de ScienceCe matin, la science économique fait la Une deScience. Pour dire, avec l’économiste Thomas Piketty, de l’Ecole d’Economie de Paris, et en substance, que «trop c’est trop». Que si les riches accaparent une part de plus en plus élevée des richesses produites depuis la «révolution» Reagan-Thatcher des années 1980, c’est mauvais pour l’économie et les sociétés humaines. On peut y ajouter que cela n’est pas bon non plus pour la gestion de l’environnement, l’état écologique de la planète.
Que Science s’occupe d’économie, c’est rarissime. Cette revue scientifique s’occupe surtout de physique, biologie, d’astrophysique ou de sciences de la Terre. Et là, ce n’est pas en catimini.
Outre la couverture, qui met brutalement en scène une mère portant son bébé en train de mendier devant une voiture de luxe, la revue publie plusieurs articles sur le sujet, et y consacre son éditorial, intitulé»Inévitable inégalité ?». Signé d’Angus Deaton, Professeur D. Eisenhower d’Economie et d’affaires internationales à l’Université Princeton. Un éditorial qui sonne comme une charge au canon contre les politiques conduites par les élites de droite et sociales-démocrates qui ont creusé les inégalités sociales au nom de l’efficacité économique pour un résultat désastreux dans tous les domaines. Un éditorial qui commence par donner de la chair aux propos chiffrés et statistiques des économistes. Dans les pays développés, la mortalité infantile, les bébés qui meurent avant un an, va «de 2 à 6 pour mille naissances». Mais, dans les 25 pays les plus pauvres, plus de 60 bébés pour mille naissances périssent avant leur premier anniversaire. L’éditorial souligne que les impasses de cette politique cynique et brutale ne sont pas seulement économiques en affirmant que les inégalités extrêmes de revenus sont incompatibles avec «le bon fonctionnement d’une démocratie».
Graphique PikettyParmi les articles, le premier de la série est signé de Thomas Piketty et d’Emmanuel Saez de l’Université de Californie à Berkeley. Il traite de l’évolution à long terme des inégalités de revenus aux Etats-Unis et en Europe. Il montre qu’après une longue période de réduction des inégalités de revenus, des années 1930 à la fin des années 1970, les politiques, fiscales notamment, conduites par les gouvernements ont renversé la tendance. L’exemple suprême étant donné par les Etats-Unis.
Cet article est une sorte de consécration pour l’économiste français Thomas Piketty, chroniqueur à Libération, après l’énorme succès de son livre «Le Capital au 21ème siècle» aux Etats-Unis. Il met en lumière l’intérêt d’un travail collaboratif de long cours qui a permis à une équipe internationale qu’il anime de construire une base de données sur les revenus des plus riches. Au-delà de la success story d’un surdoué (docteur en économie à l’EHESS à 22 ans), le choix éditorial de Science doit beaucoup à la conjoncture politique des Etats-Unis. Mais, il signale, sans limites de frontières, aux citoyens et aux forces politiques qui contestent cette politique ultra-réactionnaire qu’ils ne doivent pas baisser les bras devant la puissance politique et idéologique de ses partisans. Comme le dit en substance un humoriste de Montréal (des Zapartistes) «puisque aujourd’hui j’ai réussi à pogner un écureuil, c’est que tout est possible». La conclusion de l’article de Piketty et Saez est que d’augmenter ou diminuer les inégalités relève de choix politiques et non d’une quelconque fatalité.
Par Sylvestre Huet, le 23 mai 2014http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/05/riches-et-pauvres-la-le%C3%A7on-d%C3%A9conomie-de-science.html